mercredi 17 octobre 2012

Europe: quelle paix dans l'austérité?


L'Union Européenne vient de recevoir le prix Nobel de la paix et Le Traité européen de stabilité, de coordination et de gouvernance (TSCG) a donc été voté par une large majorité au Parlement français, grâce aux voix de la droite et sans majorité de gauche.
Simple coïncidence? Bien sûr que non. Provocation pour les uns, invitation à mieux faire pour les autres, on eut davantage compris que le peuple syrien bénéficie de l'insigne honneur de ce Nobel.
Mais l'oligarchie semble bien décidé à peser de tout son capital symbolique pour faire accepter aux européens une construction européenne désormais dans l'impasse puisque refusée par un nombre grandissant d'européens eux-mêmes.
Notre dernier message du 29 septembre indiquait ce qui, selon nous, est la véritable finalité du TSCG:En l’absence de politique de change, le TSCG risque surtout d’être utilisé comme une machine de guerre pour une dévaluation interne visant à contraindre les peuples européens à accepter la disparition de politiques sociales et publiques jugées obsolètes et à subir une flexibilité encore accrue du marché du travail: concurrence fiscale, baisse des salaires, des retraites et des cotisations sociales, facilitation des licenciements, atteintes aux droits des travailleurs et des chômeurs, etc."
Dans un entretien réalisé à Washington et publié jeudi 4 octobre par Le Figaro (1), Mme Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) ne dit pas autre chose.
Elle se voit poser la question suivante : « Le FMI tente de faire baisser les prix à l’échelle de la zone euro pour compenser le fait qu’il [l’euro] ne puisse dévaluer. Est-ce réalisable ? » 
En langage plus direct, le journaliste du Figaro, Pierre-Yves Dugua, suggère ceci: dès lors que la parité de l’euro ne dépend plus guère d’une décision des gouvernants européens (comme c’était le cas quand la monnaie d’un pays en situation de déficit commercial pouvait être dévaluée, et une autre, d’un pays en situation d’excédent commercial, réévaluée), la « compétitivité » européenne ne peut plus être rétablie par le biais du taux de change.
Par conséquent, les Etats en quête de « compétitivité » doivent provoquer la baisse des prix de leurs exportations par un biais non monétaire. Et, par exemple, le faire en comprimant les coûts de leur production (salaires, profits, marges des distributeurs, etc.). 
« Est-ce réalisable ? », demandait donc justement le journaliste du Figaro.
Oui, explique en substance la directrice générale du FMI, mais il faut baisser les salaires; c’est d’ailleurs ce que font déjà les Grecs, les Espagnols et les Portugais. Les italiens et les allemands aussi, doit-on ajouter.
Citons Mme Lagarde : « On l’espère, bien sûr [qu’il est réalisable de faire baisser les prix européens pour retrouver de la compétitivité]. Un des signes avant-coureurs du succès de cette approche est la reprise des exportations. En faisant baisser les prix des facteurs de production, en particulier le prix du facteur travail, on espère rendre le pays plus compétitif et plus intéressant pour les investisseurs étrangers. On le voit déjà un peu au Portugal, en Espagne, et on commence à le voir un peu en Grèce (1) ».
Résumons : comme l’euro est une monnaie qu’on ne dévalue pas, la relance des exportations doit passer avant tout par la baisse des prix. Celle-ci découlera principalement de la baisse des salaires, pas de celle des profits, laquelle serait sans doute moins « intéressante pour les investisseurs étrangers ». 
Et l’exemple de cette stratégie que recommande le FMI est déjà donné par les pays d’Europe du Sud. Ceux-là même dont une partie de la population plonge dans la précarité, voire la misère, du fait des politiques d’austérité recommandées par la troïka (Union européenne, Banque centrale européenne et FMI)
Il y a peu, justement, le New York Times évoquait la situation de la Grèce. 
Et le quotidien américain insistait, presque surpris, sur le caractère intraitable du FMI, toujours demandeur de nouvelles baisses des salaires (et des pensions de retraite) à un gouvernement de droite, certes bien disposé à l’égard de l’institution financière et de la troïka, mais un peu las de tailler à la hache dans les salaires, les emplois et les budgets sociaux d’un peuple déjà très éprouvé. 
« De nombreux Grecs parlent à présent de désordres civils quand le froid va s’installer et que beaucoup de gens ne pourront plus payer leur chauffage, indiquait le New York Times. Les prix de l’énergie, y compris de l’essence, ont augmenté, or les Grecs ne peuvent plus tirer sur leur épargne pour absorber ce genre de dépenses. Par ailleurs, on s’interroge sur la disposition de la police à maintenir l’ordre dès lors qu’elle aussi doit subir des baisses de salaires. La semaine dernière, des policiers qui manifestaient devant le bureau du premier ministre ont dû être repoussés par des brigades anti-émeutes (2) ».
Jusqu’à quelle extrémité Mme Lagarde et le FMI comptent-ils aller dans le sens d’une baisse supplémentaire du « facteur travail » en Europe?
Interpellée en novembre 2007 par ceux qui se plaignaient du niveau élevé du prix de l’essence, Mme Lagarde, nommée quelques mois plus tôt ministre de l’économie et des finances par M. Nicolas Sarkozy, avait répondu qu’ils feraient mieux de recourir à un vélo plutôt que de continuer à utiliser — comme elle — une voiture.
Cette fois encore, les conseilleurs du FMI ne sont pas les payeurs : pendant que les Grecs, soucieux de faire baisser le prix de leur « facteur travail », deviendront eux aussi cyclistes (ou entameront un régime alimentaire forcé), Mme la Directrice générale continuera, elle, à gagner 551 700 dollars par an (427 000 euros) — soit 11 % de plus que son prédécesseur. Nets d’impôts, bien entendu. 
A ce prix, on se passerait volontiers des avis du FMI...pour manque de compétitivité.

Cependant, maintenant que le TSCG et la règle d'or ont été voté, que peut-on faire? 

Stéphane Hessel, Pierre Larrouturou et Florence Augier, dans Libération du 8 octobre 2012 posent la bonne question:"Europe: et si on passait à l’action ?" et leur tribune fait écho à nos analyses du 29 septembre: un référumdum européen s'impose, un pacte démocratique, écologique et social est une exigence historique.Lisons leur article:
"En Allemagne, on ne parle que de ça: y aura-t-il un référendum pour approuver les nouveaux traités européens qui seront négociés à partir du sommet des 18-19 octobre ? Ce serait une première historique : il n’y a pas eu de référendum en Allemagne depuis 1945!
Mais à crise historique, réponse historique. L’Europe court à sa perte si nous ne sommes pas capables très vite d’en changer radicalement le fonctionnement démocratique et les règles du jeu en matières sociale, fiscale et écologique. Toutes les rustines posées depuis la chute du Mur, en 1989, ont rendu son fonctionnement insupportable pour les citoyens. 

Et tous les sommets-de-la-dernière-chance convoqués depuis cinq ans ont, certes, permis d’éviter l’effondrement mais ils ne se sont pas attaqués aux causes profondes de la crise : le chômage, la précarité, la baisse de la part des salaires et le dumping fiscal européen. 
En vingt ans, le taux moyen d’impôt sur les bénéfices en Europe est passé de 37% à 25%. Dans ces conditions, faut-il s’étonner que la dette augmente ? Pour toutes ces raisons, les chefs d’Etat vont commencer à négocier de nouveaux traités avec l’objectif de construire une Europe nouvelle. La Grande-Bretagne est de plus en plus tentée de prendre (temporairement ?) ses distances. C’est le moment ou jamais de construire les Etats-Unis d’Europe dont rêvaient Hugo, Schuman, Mendès France et Adenauer. 
En Allemagne, droite et gauche sont d’accord pour un double sursaut démocratique: l’Europe doit être nettement plus démocratique et les nouveaux traités devront être approuvés par les citoyens. La négociation commence les 18 et 19 octobre. MM. Barroso et Van Rompuy sont chargés d’élaborer les feuilles de route. Allons-nous laisser l’avenir de l’Europe entre les mains de MM. Barroso et Van Rompuy? Non. Il faut qu’un maximum de citoyens soit pleinement associé à cette négociation. Quelles que soient ses qualités, François Hollande ne peut pas, à lui tout seul, changer le cours de l’Europe. Certes, il a des alliés dans la négociation (Elio Di Rupo, par exemple, le Premier ministre belge). 
Certes, la droite italienne et la droite espagnole dénoncent régulièrement les politiques d’austérité «imposées par Bruxelles». 
Certes, depuis mars 2007, Angela Merkel demande la mise en œuvre d’un protocole social (c’est Nicolas Sarkozy qui n’en voulait pas) mais la tâche à accomplir est immense pour construire enfin une Europe capable de protéger son modèle social et de peser sur la mondialisation. François Hollande n’y parviendra pas seul. Il faut l’aider à créer un rapport de force. Après trente ans de dérégulation et de bourrage de crâne néolibéral, il y a une vraie bataille intellectuelle à mener. Il faut rassembler nos forces et mettre en commun nos solutions. Voilà pourquoi, dès la fin novembre, nous demandons que les socialistes français invitent toutes les forces citoyennes, politiques, associatives, syndicales qui ont pour objectif de construire une Europe sociale et démocratique à se rassembler. 
Au lieu de nous diviser sur un traité qui n’est que la dernière rustine de la vieille Europe, rassemblons-nous pour faire naître une Europe nouvelle. Ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’ampoule électrique. Ce n’est pas en mettant quelques rustines aux institutions conçues il y a soixante ans pour six pays que l’on fera naître une Europe démocratique. «L’élargissement rend indispensable une réforme fondamentale des institutions, affirmait déjà Joschka Fischer, le ministre allemand des Affaires étrangères, en mai 2000. Il faut élaguer les compétences [l’Europe ne doit pas s’occuper de tout] et mettre en place un système entièrement parlementaire.»

Dans le système actuel, sur toutes les questions importantes, il faut que les Vingt-Sept soient d’accord, à l’unanimité, pour qu’on change le contenu d’une politique. La paralysie est donc assurée. Et quand les politiques sont paralysés, ce sont les technocrates ou le marché qui font la loi. Alors que si l’on adoptait un système parlementaire, le vote des citoyens, tous les cinq ans, aurait une influence directe sur les politiques européennes - comme le vote des citoyens lors des élections législatives ou présidentielles dans chacun de nos pays. Pour peser sur la négociation qui commence, rassemblons-nous pour travailler ensemble pendant trois jours sur l’Europe démocratique, un traité de l’Europe sociale, la création d’un impôt européen sur les dividendes, une Europe qui s’attaque enfin aux paradis fiscaux et au dérèglement climatique.
A l’issue de cette rencontre, nous pourrons, tous ensemble, lancer une campagne qui permettra: 
 1) De peser très fortement sur les négociations en cours.
 2) De gagner les élections européennes de 2014.
 Entre 1981 et 1984, la construction européenne fut retardée par une dame, Margaret Thatcher, qui exprimait très fortement ses priorités. «I want my money back !» («je veux mon argent ! Je veux mon argent !»), disait-elle en tapant du poing sur la table jusqu’à obtenir gain de cause.
Pourquoi les citoyens d’Europe ne diraient-ils pas avec autant de force quelles sont leurs priorités ? We want democracy! We want social progress back !(«nous voulons la démocratie ! Nous voulons le progrès social !»)".


(1) « Christine Lagarde : “Je ne crois pas à l’éclatement de la zone euro” », Le Figaro, 4 octobre 2012. 
 (2) « I.M.F.’s Call for More Cuts Irks Greece », The New York Times, 24 septembre 2012. »

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