vendredi 14 septembre 2012

Que penser de la taxe sur les transactions financières?













La taxe sur les transactions financières, instituée par l'article 5 de la loi de finances rectificative pour 2012(1) créant l'article 235 ter ZD du code général des impôts, est entrée en vigueur le 1er août2012.Examinons-en le dispositif pour nous faire une idée de son impact.


1-L'essentiel du texte de loi:

Cette taxe de 0,20 % s'appliquera à tout achat de valeurs mobilières cotées sur un marché français, européen ou étranger de sociétés dont le siège social est situé en France et dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d'euros au 1er janvier de l'année d'imposition.

Les sociétés du CAC 40 sont ainsi comprises dans cet ensemble. 

C'est à un arrêté du ministre de l'économie et du budget qu'il appartenait de récapituler la liste des sociétés concernées. Il a été publié(2) le 12 juillet 2012 au Journal officiel et la liste comprend 109 sociétés

En sont exclues les sociétés étrangères cotées à Paris (General Electric, HSBC, Maroc Telecom, Merck, Robeco, Telefonica,...) mais également des sociétés françaises dont le siège social est basé ailleurs qu'en France (NYSE Euronext, STMicroelectronics,...).


2-Comment ça marche:
En achetant 500 euros d'actions, l'investisseur paie, en plus des frais de courtage, une taxe de 1 euro. Cette somme est directement prélevée par sa banque ou son courtier afin d'être reversée à Bercy.
Cependant, et cela n'a rien d'anecdotique, la taxe est due sur la position nette acheteuse sur chacune des 109 valeurs éligibles après chaque séance de bourse.
Illustrons le propos et supposons que le 15 septembre 2012, vous fassiez quelques allers-retours sur BNP Paribas: achat de 200 titres à 30 €, vente de la même quantité à 32,50 € et achat 250 titres à 30,25 €, la taxe due sera de 15,06 € découlant du prix moyen de vos 250 titres à la fin de la séance de bourse qui est de 30,138 € [(200 x 30) + (250 x 30,25) / 450] multiplié par votre position nette acheteuse de 250 titres et en appliquant le taux de 0,20 %.
Pas de quoi dissuader les gros spéculateurs, on en conviendra. De surcroît, les produits dérivés sont exclus de la la taxation. 
Autre élément,le taux est porté à 0,2% contre 0,1% dans le projet Fillon. Grâce à ce doublement du taux, l'équipe de Jean-Marc Ayrault table sur une rentrée d'argent de 200 millions d'euros en 2012 et de 500 millions d'euros à compter de 2013. Ce doublement du taux est destiné à « garantir le rendement » de la taxe dont le taux précédent  "n'aurait pas permis d'atteindre le rendement initialement escompté par l'ancien gouvernement" selon M.Cahuzac, ministre du budget.
Quoi qu'il en soit, on est bien loin des calculs initiaux selon lesquels la TTF devrait rapporter 1,6 milliard d'euros par an. Enfin, selon l'article 6 du projet de loi de finances rectificative pour 2012 le seuil de capitalisation d'un milliard d'euros sera apprécié au 1er décembre et non plus au 1er janvier « pour permettre aux opérateurs de connaître, avant le début de l'année d'imposition, les titres de sociétés dont les transactions entrent dans le champ de la taxe », précise l'exposé des motifs de cet article 6.

Ce sont donc les banques ou les courtiers qui devront reverser la somme indue à l'Etat. Le secteur financier craint que les clients ne préfèrent investir sur les actions des sociétés françaises cotées à l'étranger. Les parlementaires français ont donc tenté d'inclure, dans le collectif budgétaire, la taxation des "American depositary receipts" (ADR, ou certificats de détentions d'actions). Mais le 27 juillet dernier, la très puissante SIFMA, l'association des courtiers, banques et gérants d'actifs américains, s'est fendu d'un courrier cinglant à Pierre Moscovici. Révélée par le blog Margin Call, la missive agite la menace de ventes massives d'ADR concernant les entreprises françaises (Total ou Sanofi par exemple). Pour éviter la déstabilisation de ces fleurons de l'économie française, la Commission mixte paritaire a repoussé au 1er décembre prochain la taxation des ADR. Ce qui reporte le conflit entre Paris et Wall Street.

3-Les objectifs de cette taxe:

En 1972, James Tobin, le prix Nobel d'économie, proposait la création d'une taxe sur les transactions monétaires internationales, à un taux faible, afin de freiner la spéculation à court terme. Trente ans et cinq crises financières ( 1987, 1992, 1997, 2001 et 2008-2012) plus tard, la France se dote d'un tel dispositif, inscrit dans le collectif budgétaire. Mais le champ d'application et le produit de cette taxe sur les transactions financières (TTF) posent problème.
En théoriele principe de taxe Tobin n'est efficace seulement s'il est appliqué à l'échelle mondiale. 
Le Royaume-Uni dispose d'une taxe de type Tobin, le "Stamp Duty Land Tax" (SDLT), qui s'applique sur les transactions immobilières, les taxant à hauteur de 0,5%.Cependant, les travaillistes comme les conservateurs, aujourd'hui au pouvoir, refusent tout projet de taxe supranationale sur les transactions financières. Leur argument? Une TTF ferait fuir les investisseurs, et donc les capitaux, vers des places boursières qui n'appliqueraient pas la même fiscalité.
Ce que disent les milieux financiers a bien sûr une grande importance puisque ce sont eux les maîtres du monde en l'absence d'une volonté politique déterminée de les mettre au pas.
La plupart reprennent l'argument des Britanniques : un nouvel impôt gonflant le coût des transactions risque d'éloigner les investisseurs de la Bourse. Dans une interview aux Echos, Jean Eyraud, président de l'Association française des investisseurs institutionnels (Af2i), résume la position de tous : "Cette taxe va frapper les investisseurs français, institutionnels comme particuliers, alors qu'elle était censée 'punir' les responsables de la crise financière (…) Par ailleurs, elle frappe les titres de sociétés françaises les plus liquides." Autrement dit, les Français risquent de payer pour une spéculation qui s'opère souvent en dehors de nos frontières. Et, au vu du blocage anglais, irlandais, néerlandais, maltais,etc. l'idée d'une taxe européenne semble s'éloigner.
Néanmoins, l'Allemagne et la France souhaiteraient progresser dans la voie d'une coopéreation renforcée (9 pays  de l'UE minimum) dans ce domaine, de même que l'Italie et l'Espagne.


4-Le débat autour du produit de la TTF
Eva Joly durant la présidentielle et Europe Ecologie - Les Verts dans son programme pour les législatives 2012 a défendu la philosophie de James Tobin, pour qui le produit de sa taxe devait rééquilibrer les zones économiques du monde et être investi dans le développement.
De nombreuses ONG, associations, partis politiques et gouvernements dans le monde partagent cette orientation, en France y compris, François Bayrou par exemple. 
Dans  une tribune publiée dans le journal Le Monde daté du 31 juillet, Nicolas Hulot et le président d'Oxfam-France Luc Lamprière demandaient que le produit de la TTF soit consacré à l'aide aux pays en développement. 
Lors du sommet de Rio+20, en juin dernier, François Hollande avait déjà promis de consacrer "une grande partie" de la taxe au développement. "A ce jour, rien ne semble acquis", affirment toutefois Nicolas Hulot et Luc Lamprière, avant de regretter la précision apportée par Laurent Fabius, le 24 juillet dernier.
En marge des débats parlementaires, le ministre des Affaires étrangères avait affirmé que seuls 10% de la TTF soient affectés au développement. Mais, à en croire la version finale du collectif budgétaire, le texte définitif ne précise aucune répartition claire.


5-Conclusion: l'actuelle TTF n'est pas adaptée


Le dispositif appliqué depuis le 1er août écarte deux catégories de produits financiers. Tout d'abord, la TTF ne concerne pas les ventes "à nu" (sans posséder de titres) de Credit Default Swap (CDS) sur les titres souverains, un instrument d'assurance qui permet de se prémunir contre le risque de faillite d'un pays même lorsqu'on spécule contre lui. 
Ce sont les spéculations sur ces CDS qui ont provoqué la crise des dettes souveraines dans la zone euro. Par ailleurs, ne sont également pas concernées les transactions réalisées par les traders à haute fréquence, qui ont participé à "l'effet domino" de la crise financière de 2008. 
Il est donc fort déplorable de ne  de ne pas avoir voulu taxer ce type de spéculation, mais en faisant fuir les traders à Londres ou Zurich, le gouvernement perdra dans le même temps des recettes fiscales substantielles.
Au total, le dispositif législatif institué au début de l'été ne découragera en rien les mouvements spéculatifs: on peut même soutenir qu'il les encourage puisque la taxe est due sur la position nette acheteuse ("scalping" en jargon financier)!
Faut-il en conclure que le lobby des intermédiaires financiers (fonds, banques et assurances françaises de taille européenne) a fait prévaloir ses intérêts sur les promesses électorales du candidat Hollande?

____________
(1) Loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012, J.O., n° 64, 15 mars 2012, p. 4690, n° 1.
(2) Arrêté du 12 juillet 2012 établissant la liste des sociétés dont le siège social est situé en France et dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d'euros au 1er janvier 2012 en application de l'article 235 ter ZD du code général des impôts, J.O., n° 163, 14 juill. 2012, p. 11566, n° 17 .

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